Le personnage

Mieux le connaître

Louis Blanc disait de lui : ‘’  il était jeune, beau et riche ; il avait un esprit cultivé, des manières attractives ‘’ …

De tous les révolutionnaires Barbès était le plus exalté, le plus impulsif, le plus naïf et …. Le plus exposé à souffrir.

Trés grand (il mesurait 1m80), mince, racé, ‘sa figure était belle, grave, fortement caractérisée et l’extrême pâleur de ses traits donnait à sa physionomie un mélange de fermeté et de mélancolie’. La barbe noire aux reflets roux, qu’il portait tout entière à cette époque, ne parvenait pas à assombrir le ‘rayon, l’effusion, comment dire ? la candeur, le je ne sais quoi de mâle et de féminin à la fois, de séduisant ' que possédait ce jeune homme. Son sourire était ‘une lumière, surtout lorsqu’il parlait des femmes ou lorsqu’il s’adressait à elles. Le regard droit, perçant, était passionné ou tendre selon les moments. Il avait ‘une voix musicale où l’accent méridional avait gardé comme une grâce de l’accent créole’. Bref, il était selon ses contemporains, ‘dans le commerce de la vie d’une telle suavité de caractère et d’une telle séduction que le connaître c’était l’aimer’.
Il y avait dans Barbès un peu des traits du Comte de Monte  Cristo  et un peu de l’âme romantique de Lorenzaccio. Il a servi de modèle à certains personnages des ‘Misérables’ et de ‘l’Education Sentimentale’.
George Sand l’a aimé, La comtesse d’Agoult l’a couvé de son regard caressant, Flaubert et V.Hugo l’ont admiré.
 
Etienne Arago le dépeint également « dans ‘l’Avenir National’ du mardi 28 juin 1870 "L’élégance de la taille, la beauté des traits, la fierté du regard, la finesse de la bouche, tout me frappa dans mon visiteur au premier aspect…Je mis à sa disposition les entrées libres à l’orchestre du Vaudeville (dont il était directeur)".
 
Daniel Stern dans Histoire de la Révolution écrit : « Quand il revint à Paris, après neuf années passées dans les prisons d’Etat , sa belle tête , devenue un peu plus chauve, semblait encore plus fière ; sa démarche, avec plus de lenteur, avait pris plus de dignité ; son œil voilé et son visage pâli décelaient la souffrance, mais son sourire gardait une sérénité inaltérable et sa voix touchante n’avait pas perdu dans l’isolement le don de la persuasion ».
 
Malgré ses souffrances physiques, Barbès restait affable et accueillant. Le charme de sa personne, la noblesse et la loyauté de ses  sentiments lui attiraient des amis nombreux.

Comment les mères de familles carcassonnaises s’y  sont-elles prises pour laisser échapper un aussi beau parti pour leurs filles ? Il eut suffi qu’il  tomba dans leurs filets pour que sa destinée fut paisible et obscure. Mais à vingt ans  Barbès avait déjà secrètement tracé sa voie sur des chemins escarpés où une épouse n’avait pas sa place.
 
Côté cour, il y a très peu d’évocations le concernant :
Quelques bribes d’une lettre de Juillet 1835 d’un ami non identifié,  médecin à Castres évoque  les amours du jeune étudiant parisien :
 «  … J’ai besoin de savoir ce qui se passe loin de moi, les projets que tu as formés, surtout relativement à ton voyage dans le Midi. Es-tu toujours décidé à l’entreprendre ? Viendras-tu seul ou accompagné de Louise ? Tes rapports avec cette dernière  sont-ils toujours les mêmes ? Es-tu plus ou moins heureux avec elle que lorsque je t’ai quitté ? Ta mère s’est-elle désistée de ses grands projets de recherches ? Vidocq, le commissaire de police, le procureur du roi vous laissent-ils tranquilles et dans les bras l’un de l’autre, face contre face, sein contre sein. Vous est-il enfin permis de confondre vos élans amoureux, sans songer aux espions, aux frères bossus, aux mères stupides et criardes ? Donne-moi des détails, beaucoup de détails sur ce sujet, comme sur bien d’autres. Parle-moi longuement de toi, de ta maîtresse et tout ce que tu sais  …. Tu n’oublieras pas non plus de me faire savoir si tu vois quelquefois Rosine. Tu me diras à quel degré son amour est déjà descendu. Ce n’est pas que j’ai d’elle une bonne opinion mais je suis absent et elle a besoin de s’attacher autrement que d’une façon platonique. Je ne lui en voudrai pas si elle prenait un autre amant. Aussi envoie-moi toute la vérité, je suis capable de l’entendre. Embrasse-la pour moi sur le sein, dans la bouche, où tu voudras, je suis d’un naturel peu jaloux …. ».
 
Lors de son emprisonnement au Mont-Saint-Michel il eut une idylle passagère avec la femme du directeur.

Enfant, très tôt, le sentiment du devoir, de la mission à accomplir, s’emparait peu à peu de lui. A force de s’entendre répéter qu’il avait ‘charge’ d’âme à propos de son jeune frère, il avait tendance à élargir le sens de ses responsabilités vis-à-vis de tous ses camarades dont il s’instituait le protecteur.

Il fut ainsi conduit à manifester le premier signe d’un esprit contestataire en placardant sur un mur du collège un manifeste pour protester au nom des élèves contre la nourriture dont la qualité était détestable « Que deviendra, disons-nous le pauvre Louis, que deviendrons-nous nous-mêmes si tu continues d’être irréfléchi, d’être la dupe du premier intrigant que tu rencontreras ? » ainsi lui écrivait son père à Sorrèze .
 
Il ne résistait pas à ses élans. Il se rebella aussi, avec une belle avance sur notre époque, contre l’usage des distributions de prix, qui choquait son sens de l’égalité, car, bien qu’il en fût bénéficiaire, cette politique introduisait entre les élèves des discriminations humiliantes.

Ce Don Quichotte en herbe était toujours prêt à secourir les malheureux. En 1826, un incendie ayant ravagé plusieurs maisons de Sorrèze, il prit en pitié les habitants sans logis et se dépensa généreusement pour leur venir en aide.

Les logements obscurs et sans air dans des rues fangeuses, les bas salaires tarifés au gré du patron, la détresse des enfants en cas de maladie du chef de famille, le prix du pain qui augmentait sans cesse, le mépris et la méfiance avec lesquels les bourgeois assimilaient ces classes laborieuses à des classes ‘dangereuses’ sous prétexte que les délinquants se recrutaient dans la ‘populace’, toutes ces injustices le révoltaient et le portaient à la réflexion politique.

En fait, on est frappé par l’obstination de Barbès dans sa lutte acharnée pour défendre les droits des citoyens, améliorer les conditions de vie des ouvriers qui, malgré l’essor industriel du XIX siècle connurent la misère, le chômage, les emprisonnements arbitraires et les sévices de toutes sortes.  Il refusa l’aide d’avocats pour assurer lui-même sa propre défense, il revendiquera avec audace l’entière responsabilité de ses actes, il prendre des risques inouïs sur les barricades , avec ses camarades cherchera à s’évader, participera à la construction d’un tunnel de 80m, sera transféré de prisons en prisons, sera condamné à mort par 2 fois , aura été opposant à tous les régimes même quand il voit augmenter ses espérances en un nouvel ordre à la fois plus humain et plus juste à l’égard des classes laborieuses.

On est en droit de s’interroger sur les ressorts intimes qui ont poussé cet homme hors du commun à la défense d’un idéal de   liberté ? (pensait-il à ses origines bourgeoises, aux injustices issues de l’esclavage aux Antilles). Il n’a jamais varié ni dans ses opinions ni dans ce qu’il pensait de l’utilité de son action.

JF.Jeanjean raconte dans son Armand Barbès qu’à travers l’Aude nous avons un écho de ces difficultés et de la misère des classes laborieuses à ce moment -là  raconté par les ouvriers des filatures de la Vallée de l’Orbiel dans un courrier revêtu de 51 signatures adressé à M. le Commissaire du Gouvernement de l’Aude «Depuis le 24 février nous manquons de travail. Les ateliers de filature qui nous occupaient toute l’année sont maintenant fermés, et c’était là, néanmoins notre unique ressource car notre pays n’a pas les travaux des champs et des vignes ; les prés qui seuls couvrent notre sol n’exigent du travail qu’à la récolte. Nous ne venons point vous demander de vous imposer des sacrifices pour nous faire vivre, mais nous vous conjurons de favoriser notre industrie, de relever l’édit qui a empêché tout d’un coup les laines de la ville de venir dans les campagnes…
… Plus d’un mois de chômage nous a enlevé nos dernières ressources et cependant nous avons nos femmes et nos enfants à   nourrir ! …
… Serions-nous l’objet de la plus amère dérision. Et lorsqu’on nous parle de la Souveraineté du peuple, nous refusera-t-on le pain que nous voulons arroser de nos sueurs ? Du travail ! Voilà tout ce que nous demandons. Du travail pour donner du pain à nos enfants et pour vivre nous-mêmes. »

La situation économique du pays est de plus en plus angoissante, les corporations ouvrières crient leur détresse et s’agitent et la marche des évènements n’est plus du tout rassurante.

 
Barbès était charmeur et séduisant, adoré des femmes mais ses seules passions furent l’amour du peuple et  les conspirations. Républicain farouche, il alla si loin qu’il fit peur à la république elle-même.
Roger Merle dit pour résumer le personnage : « Ce qu’il croyait dans ce domaine à 20 ans , il l’a cru jusqu’à sa mort avec une sincérité d’enfant, sans rien y retrancher et sans rien y ajouter ». 

Et Augusta CARLES, sa soeur








​Un lien très fort les unit, elle n’aura de cesse de lui tendre la main toute sa vie alors qu’il la faisait vivre dans une grande angoisse ! Prenant le relais de ses parents, elle essayera de le mettre souvent sous quelques protections et de le tenir à l’abri ‘de tous les mauvais coups et de tous les intrigants’ … mais que pouvait-elle faire contre ce contestataire et idéaliste forcené ?

Très tôt se noua entre Barbès et sa sœur ‘une tendre, pure et touchante intimité. Augusta avait alors seize ans. Elle n’était pas d’une éclatante beauté, mais paraît-il, elle ne manquait de grâce ni d’intelligence. Elle était sensible et généreuse. Une âme d’élite disait Barbès. Durant 40 ans on la retrouvera toujours sur les traces de son frère, apeurée, admirative, maternelle mais toujours volant à son secours’.

Le 12 juillet 1825, la mère d’A.Barbès lui écrit alors qu’il est à Sorrèze : « Tu recevras une lettre d’Augusta qui continue à nous donner véritablement de la satisfaction ; elle nous envoie de ses ouvrages tels qu’une paire de bretelles brodées pour son père ; une très belle bourse et deux pelotes magnifiques pour moi ; et le plus joli envoi est la répétition des éloges de la maîtresse de pension. Nous pouvons donc nous flatter que cette pauvre petite qui a été si négligée, fera son possible et qu’elle ne se dissimule point que son succès fera notre bonheur et le sien ».

Quand il partit de Fourtou, c’est sous le regard embué de sa chère Augusta. Il partit vers son destin en songeant à cette prédiction que lui avait faite une vieille femme de Villalier "Vous serez un jour Pair de France".

Jean-Louis Sarrand, maire de Carcassonne du 05/11/1835 au 21/02/1837, est intervenu en sa faveur et l’affectionnait particulièrement. Sa lettre du 4 juin 1839 à M. Lastours (Pair de France) raconte « Il est demeuré dans une campagne isolée près de Carcassonne où sa sœur allait le voir très souvent et l’engageait sans cesse à ne plus s’occuper de politique » (il trouvait que politiquement il était atteint d’une exaltation qui frisait l’aliénation mentale).
C’est encore Jean-Louis Sarrand qui écrivait au Comte Excelmaans (Lieutenant et Pair de France à paris) « … Mes sentiments d’affection pour M.Barbès n’ont donc rien de politique et prennent leur source dans l’intérieur et la composition de la famille de ma femme . Mme Carles Barbès, ma belle-sœur, est une jeune dame remplie de bon sens ; elle se fait estimer et aimer de tous les membres de sa nouvelle famille ; mais depuis qu’elle a connu la position de son unique parent, elle est devenue si triste et si morne, que nous sommes tous persuadés que si son frère était obligé de monter sur l’ échafaud, elle en deviendrait folle et son mari l’aime tant qu’il mourrait de chagrin. »


Le 12 Avril 1839 Barbès écrit à M.Doux négociant à Carcassonne : « … C’est ma pauvre sœur et vous tous mes amis que j’abreuve de chagrin ! Ma pauvre sœur ! Il s’en est fallu de peu ces jours-ci qu’elle ne perdit son petit garçon et maintenant voici qu’elle va me perdre. Aussi je n’ai pas osé lui dire que j’allais à Paris. J’ai voulu épargner à elle et à moi la scène d’adieux, mais dans peu de jours elle saura que je ne suis pas à Marseille, et alors … ».

Le 13 Juillet 1839, Augusta Carles se joint place Vendôme à la manifestation des étudiants (en droit et médecine) pour demander pour son frère la commutation de sa peine au Garde des Sceaux (condamnation à mort) et intervient auprès de Lamartine puis de Montalivet afin d’obtenir la grâce du roi Louis-Philippe. Le roi était ‘personnellement porté à l’indulgence’ et, passant outre l’avis de ses ministres, gracia Barbès dont la condamnation fut commuée en travaux forcés à perpétuité puis en déportation à vie. Quant à Barbès lui-même, il s’était refusé à signer sa demande de grâce et avait écrit : ‘Tout recours à ce pouvoir m’était souverainement odieux… ma sœur agissait à mon insu contre ma volonté formelle’.
Indignée que le roi n’ait pas accordé à Barbès la grâce complète, Augusta quant à elle, n’adressa au souverain aucun remerciement. Et, plus tard, à Londres où il était exilé, celui-ci s’étonna d’une telle ingratitude et s’adressant à son chambellan , le Duc de Montebello :
- « J’ai fait grâce à Barbès malgré mon ministère. Eh bien, sa sœur qui m’était venue implorer la veille, n’est pas seulement venue me remercier parce que je n’avais pas accordé grâce pleine et entière. Comment se nomme-t-elle cette dame ?
- Sire, elle s’appelle Madame Carles.
- Duc de Montebello, retenez-moi ce nom-là ! ». Récit de Roger Merle
Dès le 12 Octobre 1841 elle dénonce le système cellulaire concernant la prison du Mont Saint Michel et les méthodes employées. Elle fait publier une pétition, la parution de celle-ci déclenche une campagne de presse.
A la prison de Nîmes, elle adresse au Ministre une demande de permission permanente pour le visiter elle, son mari et ses enfants afin de ne pas renouveler cette demande à chaque visite.

Bans du mariage d'Augusta