Ceux des autres

UN BOURGEOIS ? UN FANATIQUE ? UN AVENTURIER ?
​UN SOLDAT DE L’IMPOSSIBLE ?
UN HEROS ? UN MARTYRE ?
UN CONSPIRATEUR HORS-PAIR…
UN BAYARD DE LA DEMOCRATIE…
UN REVOLUTIONNAIRE ROMANTIQUE… 
UN HOMME D’ACTION SANS PROGRAMME…
FUTUR FLEAU DE L’ESTABLISHEMENT(Marx)


Auguste Blanqui

« Barbès, tu n’es qu’un révolutionnaire de salon et un lâche ! ».
 
« J’ai hâte d’arracher son masque à ce prétendu Bayard, de montrer le Tartuffe, l’aristocrate vaniteux et envieux, fourvoyé dans le camp démocratique ».
 
« Barbès, confiait-il à ses amis, était accoutumé à toutes les aises de la vie. Il aimait se promener, ne rien faire, aller à la chasse. Il m’en a voulu de l’arracher aux délices de sa campagne à la veille du 12 mai 1839 et il ne m’a pas pardonné de lui avoir fait risquer sa tête dans cette insurrection ».
Lorsqu’on parlait devant lui du ‘loyal Barbès’ ou du ‘Bayard de la démocratie’ expression qui le mettait en fureur, il répondait avec un sourire glacé : ‘Je n’ai jamais connu personne d’aussi  menteur que Barbès’…
 ‘ L’un des plus imperturbables menteurs de France et d’Amérique, ce qui n’est pas sa faute puisqu’il est à la fois créole et gascon ‘…
Il le traitait encore dans une lettre à Edouard Gouté de ‘personnalité inepte ‘ ‘ de fielleux personnage’ ‘ de saint trop ébréché’ de ‘ chevalier de la Réation’ ‘ de ‘ Palladium vermoulu de la bourgeoisie’.
On ne parlera jamais assez de la haine Barbès/ Blanqui, c’était la guerre au couteau, une lutte tantôt sourde, tantôt franche agrémentée de basses manœuvres.
Et pourtant, le 2 novembre 1842, alors que Barbès est en prison au Mont Saint Michel et qu’il est dans un état physique de délabrement, Blanqui fait pression auprès de son ami avocat Fulgence Girard en sa faveur  « Je t’engage toujours à intervenir activement pour obtenir le transfert de Barbès dans le Midi. Sa santé ne peut pas se rétablir au Mont Saint Michel, c’est chose certaine. Elle y empire au contraire tous les jours, c’est probable, je puis même dire, c’est sûr ! Ne cache pas cela à sa famille pour qu’elle agisse le plus promptement possible. Il n’y a pas d’autres mesures à prendre que de l’envoyer sous un climat plus chaud ». N’est-ce pas un exemple de grandeur d’âme chez un homme que les amis de Barbès représentent comme implacable ?
(Extraits de ‘ Un Drame Politique en 1848 de Maurice Dommanget)

Jules Antoine Taschereau

« Barbès est rempli de bravoure ; c’est un homme résolu dans l’action mais qui n’est pas dangereux. Il n’est pas organisateur, il ne connaît pas les hommes et ne sait pas prendre d’empire sur eux, c’est un instrument énergique, ce n’est pas un chef. Il est du reste spiritualiste décidé ce que la plupart d’entre nous ne sommes pas. Il a été en partie la cause de notre échec du 12 mai. Il ne s’est pas battu comme un chef mais comme un soldat »
(Journal des Débats, Gazette des Tribunaux, 2 avril 1848)

Victor Hugo

Il raconte la journée du 12 mai 1839, il sortait de son appartement de la Place  Royale : " Je sors, je suis les boulevards. Il fait beau. La foule se promène dans ses habits du dimanche. On bat le rappel … Je rentre dans le Marais… En ce moment on fait des barricades rue des Quatre Fils. Le lendemain, il gagne les Boulevards. On entend les feux de peloton de la rue St.Martin c’est l’agonie de l’émeute. Barbès blessé sur une barricade est fait prisonnier"
« Tout ce que vous avez fait pour le peuple, je le ressens comme un service personnel….J’ai à l’époque que vous me rappelez, rempli un devoir, un devoir étroit… A bientôt sur cette terre ou ailleurs. Je salue votre grande âme. » écrit V.Hugo à hauteville-house le 15 juillet 1862 (il l’appelle mon ‘frère d’exil’).

Anecdote : Il ne put assister aux obsèques de Barbès à cause des horaires de bateau et il s’est excusé par une dépêche « Impossible d’aller à la Haye. C’est un regret mêlé à une douleur. J’aurais voulu saluer cette grande âme ». 

Alphonse de Lamartine

« Il était le soldat de l’impossible et ne pouvait pas tarder à passer aux désespérés de la démocratie » disait-il de Barbès.
Le 25 février 1848, en voyant le drapeau rouge flotter au-dessus de la porte de l’Hôtel de Ville Lamartine dans un fameux discours fait prévaloir la thèse que l’emblème aux 3 couleurs n’est pas celui d’un régime mais d’une nation « …C’est le drapeau de la France qu’il faut relever devant l’Europe. La  France et le drapeau tricolore, c’est une même pensée, un même prestige, une même terreur au besoin pour nos ennemis » et  le 7 mars, les autorités préconisent le retour à l’ordre traditionnel des couleurs c’est-à-dire le bleu- le blanc et le rouge.

Gustave Flaubert

« En attendant d’être guillotiné il lisait Lord Byron et fumait sa pipe. C’est assez propre ».

Charles Hugo

« Il va où sa conscience le mène, laissant derrière lui le sillon d’une traînée de poudre enflammée. C’est l’aventurier du devoir ».

George Sand

Ils se sont rencontrés en mars 1848 par l’intermédiaire d’Etienne Arago. La journée du 15 mai les a séparés. Ils ne se sont plus jamais revus, mais ils ont entretenu une correspondance qui a duré jusqu’à la mort de A.Barbès, le 26 juin 1870 (début janvier, ils s’écrivaient encore).
Elle collabora avec lui au journal ‘la Commune de Paris’ puis à la ‘ Vraie République’.
« Elle éleva dans son cœur un autel à ce martyr, sans songer même à se demander si par hasard l’idole et le héros n’avait pas été un simple fantoche. Son incurable idéalisme allait sans cesse personnifiant dans un individu cette chimère de perfection qu’elle s’était forgée ». écrit Doumic (homme de lettres, journaliste et critique littéraire).
Quels que soient leurs différends, le ton des lettres est amical, chaleureux et rempli d’une admiration réciproque. ‘Ses premiers élans furent ceux d’un héroïsme irréfléchi’.

Dans la Révolution de 1848, le 15 mai, elle écrit :
« Ce n’est donc ni une protestation, ni une révolution, ni une émeute, c’est tout bonnement un coup de tête, et Barbès ne s’y est trompé que parce qu’il a voulu s’y tromper. Chevalier de la cause, il s’est dit qu’il fallait se perdre pour elle et avec elle. Honneur à lui toujours ! Mais malheur à nous. » .

Au soir du 16 mai 1848 elle ne cesse de regretter en privé :
« Que va devenir Barbès, cette pauvre grande âme éprise de vertige, et pour ainsi dire amoureuse de sa propre perte ?’. Va-t-on être cruel envers lui, s’acharner sur un cadavre , lui faire subir au nom de la République le supplice qu’il a subi si longtemps au nom de la Monarchie ?... Quel affreux chaos ! Nos amis au pouvoir, Emmanuel ambassadeur et Barbès au cachot ».
Quelques jours plus tard regrettant le tour que prend la République, elle s’exclame encore :
« Barbès en prison, Louis Blanc à la veille d’y être, je ne puis pas ne pas être indignée ».
« Barbès avait joué sa tête volontairement, Louis Blanc n’avait pas perdu la sienne un seul instant ».
Le 10 juin :
« Paris va mal, vous le savez par les journaux. Mon pauvre ami Barbès s’est fatalement compromis dans une échauffourée absurde dont il n’était pas plus que moi le complice ».
Le même jour, elle écrit à Barbès à Vincennes :
« Ah !mon ami que votre foi est belle et grande ! Du fond de votre prison, vous ne pensez qu’à sauver ceux qui paraissent compromis et à consoler ceux qui s’affligent. Vous essayez de donner du courage, au rebours de la situation normale qui me commande de vous en donner ».

« Comme femme, je suis toujours forcée de reculer devant la crainte d’insultes pires que des coups, devant ces sales invectives que les braves de la bourgeoisie ne se font pas faute d’adresser au plus faible, à la femme de préférence à l’homme ». Correspondance, lettre à A.Barbès 10 juin 1848

Fidèle, elle lui écrit régulièrement , manifestant son admiration comme dans sa lettre du 8 novembre 1848 :
« …Vous le meilleur de tous… Adieu, écrivez- moi si vous le pouvez, ne fût-ce qu’un mot. Je fais toujours le rêve que vous viendrez ici et que vous consentirez à vous reposer pendant quelques temps de cette vie terrible que vous endurez avec trop de stoïcisme…».
Quels que soient leurs différents, le ton des lettres est amical, chaleureux « Ses premiers élans furent ceux d’un héroïsme irréfléchi».
Elle l’appelait ‘son cher et excellent ami’ ‘mon ami bien-aimé’ ‘le cher ami de mon cœur’ et elle signe souvent ‘votre sœur’ ! elle l’embrasse ‘tendrement et respectueusement’ et se dit à lui ‘de tout cœur et à toujours’. Le ton est expansif ; il y a du sentiment sans familiarité.

En 1865 elle lui écrira « Vous vous êtes cramponné à l’exil et il a bien fallu vous admirer malgré les prières et les regrets » .

Et pour finir :
«Vous êtes déjà passé à l’état de figure historique et vous représentez de nos jours le type du héros perdu dans notre triste société».

Anecdote : Elle luttera pour le sortir de son exil volontaire. En 1848 elle lui consacrera ‘La Petite Fadette’.

Les nacelles Barbès et Sand

Ballon N° 8 : « Le George-Sand »
Caractéristiques et Volume : 1200 m³Aéronaute : Revilliod Joseph
Date de départ : Vendredi 07 octobre 1870 (19 ème jour du Siège)
Lieu de départ : Place Saint-Pierre
Heure de départ : 11h05
Date d'arrivée : 07 octobre 1870
Lieu d'arrivée : Crémery (Somme)
Heure d'arrivée : 16h
Durée du vol : 4h 55
Kilomètres parcourus : 120 km
Passagers : Reynolds, Charles May, Etienne Cuzon (aîné)
Histoire : Ballon en étoffe jaune

Anecdote : Au cours de la guerre de 1870, Paris s’est retrouvée encerclée et il a été utilisé des ballons à gaz avec nacelle pour transporter le courrier civil ou militaire, des passagers, des pigeons voyageurs. Ils partaient de jour comme de nuit.
L’Armand Barbès portait un gros volume de courriers et 16 pigeons et le G.Sand portait 18 pigeons.
Ces 2 ballons étaient neufs et juste sortis des chaînes de fabrication improvisées dans Paris.
Il y eut 66 ballons montés transportant 164 passagers, 381 pigeons, 5 chiens et plus de 2 millions de lettres.


Récit de Gaston Tissandier

Le double départ de l'Armand Barbès et du George Sand s'est effectué dans des conditions assez dramatiques, comme l'ont raconté les journaux de Paris. Nous cédons la parole au Gaulois du 7 octobre qui a donné des détails curieux sur ces mémorables ascensions:
«Une foule énorme attendait ce matin, sur la place Saint-Pierre à Montmartre, le départ des ballons l'Armand Barbès et le George Sand, ce n'était pas un vain sentiment de curiosité qui excitait l'avide anxiété de cette population; on venait d'apprendre que chacun de ces aérostats emportait des voyageurs entreprenant courageusement ce périlleux voyage avec d'importantes missions.
«Dans la nacelle de l'Armand Barbès, conduit par M. Trichet, prirent place Gambetta et son secrétaire Spuller; dans celle du George Sand, dirigé par M. Revilliod, montèrent MM. May et Raynold, citoyens américains, chargés d'une mission spéciale pour le gouvernement de la défense, et un sous-préfet.
«On remarquait dans l'enceinte Charles et Louis Blanc, MM. Rampont et Charles Ferry, et le colonel Husquin.
«MM. Nadar, Dartois, et Yon dirigeaient, avec l'autorité et l'entrain qu'on leur connaît, le double départ.
«Les dernières poignées de main échangées au milieu de l'émotion générale, au cri de «lâchez tout!» les deux ballons s'élevèrent majestueusement.
«Il était onze heures dix minutes.
«Une immense clameur de: «Vive la République!» retentit sur la place et sur la butte; les hardis voyageurs agitaient leurs chapeaux et leurs voix répétaient comme un écho lointain le cri de la foule.
«Par une illusion d'optique, lorsque les ballons franchirent la butte Montmartre, ils se dirigeaient vers le nord-est, l'on crut qu'ils descendaient et allaient échouer dans la plaine. La foule désespérée, anxieuse, tumultueuse, escalada la butte. Les factionnaires marins eurent toutes les peines du monde à la retenir: il fallut qu'elle vit les deux ballons continuer leur route poussés par un vent qui (d'après les observations faites) filait dix lieues à l'heure.
«On attend impatiemment le retour des pigeons voyageurs qui nous diront où les deux aérostats ont atterri.»

Le Moniteur universel du 10 octobre (édition de Tours)

«Le voyage ... a été marqué par moins de péripéties [que celui de l'Armand Barbès]. Après avoir essuyé la première fusillade, il a pu se maintenir à une assez grande hauteur pour éviter un nouveau danger de ce genre; il est allé descendre, à 4 heures, à Crémery près de Roye, dont les habitants ont très-bien accueilli les voyageurs. M. Bertin, fabricant de sucre et maire de Roye, a donné l'hospitalité pour la nuit à l'aéronaute; son adjoint a logé chez lui les deux américains.
«Le lendemain, samedi, l'équipage du second ballon rejoignait celui du premier à Amiens, et l'on partait ensuite de cette ville à midi. A Rouen, où l'on arriva ensuite, M. Gambetta fut reçu par la garde nationale, et prononça un discours qui excita l'enthousiasme. De Rouen, M. le ministre et ses compagnons de route se dirigèrent sur le Mans; ils y couchèrent, et en partirent le lendemain, dimanche, à 10 heures et demie.»