Une histoire dans l'histoire

Le parcours d'un combattant


Si le grand révolutionnaire français A. Barbès est né à Pointe-à- Pitre en Guadeloupe, il appartient à l’Aude, à Capendu par sa famille, à Fourtou près de Villalier par son enfance et son tombeau, à Carcassonne par son élection à l’Assemblée Nationale.

Né le 8 Septembre 1809, il fut conduit à l’âge de 5 ans en métropole, il passa sa tendre enfance sous les pins magnifiques du beau domaine de Fourtou. Il fit ses humanités au collège de Sorèze où tous les fils de famille étaient élevés avec distinction selon les règles du grand Lacordaire. Mme Marie-Odile Munier, Archiviste et Conservateur de l’Abbaye –Ecole de Sorèze me confirme que Barbès a été scolarisé de 1824 à 1827, mais que malheureusement, il n’existe aucune trace de ses devoirs, ni aucune photographie (car à cette époque, les photographies n’existaient pas). Les archives de l’école, surtout en ce qui concerne le XIX siècle sont très pauvres, il n’y avait pas de dossiers scolaires, ceux-ci n’existent que depuis la réforme de 1960. A. Barbès n’a pas non plus de buste dans la salle des Illustres de l’Abbaye-Ecole.

Son père lui écrivait à Sorèze : « … que deviendrons-nous nous-mêmes, si tu continues d’être irréfléchi, d’être la dupe du premier intrigant que tu rencontreras ?  …. Nous voulons certes, que tu ne manques de courage ni d’ honneur, mais tu te prendras toi-même en pitié lorsque tu reviendras sur tes pas avec maturité d’avoir écrit que le courage et l’honneur consistent à s’insurger pour de misérables aliments….. (faisant allusion à l’alimentation servie au  collège) ». 

Son père meurt, il a 18 ans et dès sa majorité il est à la tête d’une belle fortune que celui-ci avait amassée dans le commerce aux Antilles. 

Il fit son droit à Paris où il se trouve en 1830. Charles X remplacé par Louis-Philippe n’était pas une solution pour les aspirations dans les libertés républicaines de la jeunesse en 1830.  A. Barbès généreux, enthousiaste, éloquent et riche est une recrue de valeur pour les milieux avancés. Il devient un  véritable apôtre de la République à fonder. Avec passion il se jette dans la lutte, fait partie de tous les complots du parti républicain contre Louis-Philippe, il est l’ami de plusieurs conspirateurs.

qul faut renverser le nouveau roi.  Affilié aux ‘Sociétés Secrètes des Droits de  l’Homme et des Familles’ il prend une part active à l’insurrection d’avril 1834. C’est sa 1ère arrestation et son 1er emprisonnement à Sainte-Pélagie à Paris où il reste 5 mois. Il bénéficie d’une ordonnance de non-lieu. L’attentat de Fieschi le 18 août 1835  le fait de nouveau arrêter. Il n’est pour rien dans cette conspiration. Il est relâché. En mars 1836, il est condamné à 1 an de prison pour fabrication clandestine de poudre.

Le parti républicain est traqué et se désagrège. Barbès en devient le chef, il le prend en main, y consacre sa foi, sa fortune, sa vie. Il conspire toujours avec Blanqui, Martin Bernard et c’est l’insurrection qui éclate le 12 mai 1839, cette révolte sanglante sera la dernière de l’émeute. S’il conspire dans l’ombre avec les membres de la ‘Société des Saisons’ qu'il fit descendre dans la rue, il n’est pas à l’abri mais à la tête des insurgés, c’est un entraîneur plein de courage et d’abnégation.

Il assiège la Conciergerie pour occuper la Préfecture de Police. Il y a des morts ; forcée de se replier, l’émeute s’empare de l’Hôtel de Ville et Barbès lit une proclamation. Il tente de soulever le ‘Faubourg  St.Martin’  sur la barricade de la ‘rue Grenetat’.  Il est blessé à la tête et la troupe régulière le fait prisonnier. Le 27 juin les conspirateurs arrêtés étaient jugés par la ‘Cour des Pairs’.  Sur le banc des accusés : A.Barbès, Martin-Bernard, Bonnet, Nougues, Mialon, etc … Le réquisitoire insista surtout sur le meurtre du lieutenant Drouineau qui tomba sous les balles des insurgés en défendant la Conciergerie. Il serait l’auteur de cet assassinat. Telle était la conclusion de l’accusation qui réclamait la peine de mort. Sans émotion avec un courage tranquille il se leva, grand,  élégant et superbe, véritable chef inspiré d’héroïsme et rayonnant d’apostolat, il déclara : -« c’est là un acte dont je ne suis ni coupable ni capable. Si j’avais tué ce militaire, je l’aurais fait dans un combat à armes égales, autant que cela se peut dans le combat de la rue avec un partage égal de champ et de soleil. Je n’ai point  assassiné , c’est une calomnie dont on veut flétrir un soldat de la cause du peuple. Je n’ai pas tué le lieutenant Drouineau ».
Note confidentielle faisant savoir qu'Armand Barbès comptait sur la complicité du capitaine de la Garde Nationale pour faciliter la prise de l'Hôtel de Ville de Paris - 1839
Rapport de reconnaissance d'Armand Barbès à l'hôpital St Louis à Paris le 13 mai 1839
Inventaire de la malle d'Armand Barbès pour la prison - 1839

Barbès refusa  donc de répondre à toutes les questions posées. Pressé , il expliqua ainsi son silence -« quand l’indien est vaincu, quand le sort de la guerre l’a fait tomber au pouvoir de son ennemi, il ne songe pas à se défendre, il n’a pas recours à des paroles vaines, il se résigne et donne sa tête à scalper ». Cette remarque fait dire à l’accusateur  M.Pasquier que Barbès avait raison de se comparer à un sauvage. Aussitôt celui-ci , fin et audacieux lui répond :  « le sauvage impitoyable n’est pas celui qui donne sa tête à scalper, c’est celui qui scalpe ». Il fut condamné à la peine de mort.

Une attitude courageuse, virile et noble durant son procès avait plaidé auprès du public pour l’accusé, pétitions, cortèges d’étudiants, manifestations du peuple devant le Palais Bourbon, démarches actives auprès des Ministères et de la Famille Royale. Dans Paris c’était un cri ‘VIVE BARBES ’. Louis-Philippe restait inexorable. L’exécution fut décidée. V.Hugo qui jouissait d’une autorité incontestée et d’un immense prestige fit remettre au roi cette strophe :

Par votre ange envolée ainsi qu’une colombe !
Par ce royal enfant, doux et frêle roseau !
Grâce encore une fois !
Grâce au nom de la tombe !
Grâce au nom du berceau !


Cette allusion à la mort de la princesse Marie et à la naissance du Comte de Paris sauva la tête de Barbès en détention perpétuelle.

D’abord envoyé à la frontière à Doullens, le régime cellulaire l’épuisa rapidement.  Il fut transféré pour raison de santé à la prison de Nîmes. (Dans une lettre expédiée de la prison de Nîmes en 1847, Barbès s’inquiète de la diffusion d’un de ses écrits ‘Une étoile tombée’ concernant la trahison d’un de ses amis républicain de Villalier, Jean-Antoine Celles qui après les journées de juillet 1830, planta en haut du clocher de l’église le drapeau tricolore. Il évoque avec amertume les législatives de 1846 et le ralliement de Celles au Député Alphonse Mahul). La révolution du 24 février 1848 le délivra.

Il court à Paris, devient Président du ‘Club de la Révolution’, Gouverneur du Palais, Colonel de la 12éme Légion de la Garde Nationale. Au Gouvernement provisoire, chef du parti  avancé, il soutient la politique de Ledru-Rollin et modère le terrible Blanqui révolutionnaire exalté. C’est ainsi que Barbès dans la manifestation du 16 avril est pour le gouvernement et contre Blanqui.

Le 23 avril, l’Aude par 36 703 voix l’élit à l’Assemblée Nationale où il va siéger sur les bancs de la ‘Montagne’. Il prend part, erreur politique, au mouvement du 15 mai. L ‘insurrection réclame un impôt de 1 milliard à prélever sur les riches et tente d’organiser à l’Hôtel de Ville un gouvernement provisoire. Les principaux chefs révolutionnaires sont arrêtés le soir même, conduits à Vincennes et traduits devant la Haute Cour de Bourges pour tentative révolutionnaire contre le Gouvernement Républicain. Barbès est condamné à la détention perpétuelle .

Adolphe Raynaud, dans sa lettre à Barbès du 16 mai 1848, écrit qu’aux environs de Carcassonne, les communes qui ont le mieux voté sont celles de Villalier, Trèbes, Villegly, Conques, Malves, Couffoulens et tout le canton de Capendu. Trèbes a voté à l’unanimité pour Barbès.

Son état de santé altéré par ses détentions lui aurait fait éviter les geôles de Belle-Ile en Mer. Il réclama l’honneur de partager la même peine avec ses camarades révolutionnaires, et il partit pour les cachots de Belle-Ile en Mer (régime cellulaire très dur). Cependant, il peut écrire de sa prison.

La guerre d’Orient éclate et en homme politique, il l’a commentée dans des lettres à ses amis « si tu es affecté de chauvinisme parce que tu ne fais pas de vœux pour les russes, je suis encore plus chauvin que toi car j’ambitionne des victoires pour nos français. Oui, oui, qu’ils battent bien les cosaques là-bas et ce sera autant de gagné pour la cause de la civilisation et du monde ».

Un tel patriotisme toucha le gouvernement, cette lettre montrée à Napoléon III le fit gracier aussitôt (oct.1854), il n’était pas dans le caractère de Barbès d’accepter une faveur qu’il n’avait pas demandée et qui aurait pu lier sa liberté. Il refusa de sortir de prison et c’est par la force qu’on le libéra de son cachot.

Il s’exila d’abord en Belgique à Bruxelles puis en Espagne. Arrêté en Espagne, il est expulsé au Portugal. A un de ses correspondants, il écrivait avec passion « mon cœur bat quand je songe à la patrie ».Il se fixe ensuite à La Haye où il vécut plusieurs années « comme l’oiseau sur la branche, d’hôtel en pension de famille, de chambres meublées en mansardes dans l’incertitude du lendemain. Vers 1861, il s’installa chez 2 vieilles filles françaises qui acceptèrent de l’héberger et de veiller à sa subsistance quotidienne moyennant une rétribution modique ». Il habitait une petite maison sur le ‘Plaatz’ au n° 17 devant la gare des omnibus. C’était une maison étroite et bien située raconte Roger Merle. « Il occupait au 2ème étage au sommet d’un escalier tournant et obscur un logement modeste presque monacal qui convenait à ses goûts simples ».
​(La Haye est la ville siège du gouvernement des Pays-Bas, elle est située dans la province de la Hollande méridionale à l’ouest des Pays-Bas dont elle est le chef- lieu. Elle est aussi la ville où siègent la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale).

En Novembre 1869 la candidature de Barbès au corps législatif fut posée par les républicains les plus avancés de la 3ème circonscription de Paris. Sa santé usée par sa vie de prisonnier ne lui permit pas d’accepter.

Dans une vieillesse prématurée, il supporta la douleur physique et l’exil. Il mourut le 26 Juin 1870 dans les bras de sa sœur Augusta. Il mourrait dans « sa foi démocratique et religieuse et entendait être enterré sans cérémonie d’aucun culte ». Augusta respecta sa volonté. Aucun prêtre ne présida à son enterrement mais à la Haye, à Villalier et à Carcassonne il y eut des services religieux. Ses obsèques eurent lieu le mercredi 29 juin à 10 heures du matin au cimetière d’Eikenduinen où il fut provisoirement inhumé. Il y avait Augusta et ses enfants, Louis Barbès, Louis Blanc, Martin-Bernard, ses fidèles compagnons d’aventures, son jeune médecin et Van Soest son ami hollandais.

Barbès avait demandé de n’être ramené en France après sa mort ‘que lorsque sa patrie serait délivrée de ses tyrans’. Sa famille avait gardé le secret de la date du transfert pour cause de manifestations. Aucune cérémonie n’a lieu à son arrivée en gare de Carcassonne. Il mourut trop tôt pour avoir la joie de fêter le rétablissement de la République mais il n’eut pas ainsi le déchirement de voir le sol de la France qu’il aimait avec passion, envahi et morcelé. Ses restes reposent dans un modeste tombeau sur les hauteurs de la pinède de Fourtou (domaine familial) appelée ‘Belle-Ile’ à Villalier.

Voir documents que m’a transmis MR. J.J.Van Aartsen, Maire de La Haye (Pays Bas) concernant un article consacré à A.Barbès qui a vécu dans sa ville, article paru en 1992 dans le Historical Society ‘Die Haghe’ et conservé dans le fond des archives de la ville. L’article n’est pas en français, néanmoins il traduit le vif intérêt porté à l’homme politique.