Ses prisons


IL N’Y AVAIT PAS DE BARBES SANS PRISONS !

IL N’Y AVAIT PAS DE PRISONS SANS BARBES !

Prison Ste Pélagie

Ste. Pelagie était  une prison parisienne située entre l’actuel groupe d’immeubles portant le n° 56 de la rue de la Clef avec la rue du Puits de l’Ermite dans le 5ème arrondissement de Paris au niveau  de l’ancienne Place Ste.Pelagie. Créée par la ‘Fondation des Filles Repenties’ en 1662, elle devint Maison d’Arrêt en 1790, recevant tous les exclus de la Grande Révolution (en 1er les royalistes, en dernier les républicains) puis prison départementale en 1811, elle sera promue et dévolue aux détenus politiques en février 1831.

Cette prison était réputée ‘infranchissable’ mais le 16 avril 1834, ‘164 conjurés’ sont arrêtés et transférés à Ste. Pelagie sans aucun jugement. Mais le 12 juillet 1834 Barbès et 26 autres  organiseront de l’intérieur même de la prison leur évasion ! (ils avaient été arrêtés suite à la nuit d’émeute du 15 avril 1834 pendant laquelle tous les habitants d’une maison de la rue Transnonain d’où était parti 1 coup de feu, avaient été massacrés par l’armée).

L’Edifice devenu insalubre sera démoli en 1899. Evariste Galois, agitateur républicain disait « … porte aussi massive que rébarbative, murs épais d’ 1m qui le disputent à l’horreur de sombres couloirs suintant la crasse, le froid et le désespoir. Tout ici sent la mort ! Dante a dû y venir rédiger ses Enfers. »

Une bonne partie de l’intelligentsia française a séjourné à Ste.Pelagie ’que du beau linge’ aurait dit madame Sans-Gêne ou Dumas. Effectivement Ste.Pelagie finit par ressembler en mieux à un quelconque bottin mondain (Aristide Bruant/ Gérard de Nerval/ Jules Vallès/ le Marquis de Sade/ Madame Rolland/ la Comtesse du Barry/ François Vidocq/ Jean Gustave Courbet/).

Prison du Mont St Michel : la Bastille des mers

Adolphe Thiers, chargé des prisons en 1833, comme Secrétaire d’Etat au Commerce et aux Travaux publics, décide de faire de la prison centrale du Mont-saint-Michel la première forteresse destinée à recevoir les condamnés pour subversion politique. Il fait installer pour ces prisonniers politiques un logement à part et veille personnellement à leur ménager un régime spécial.

En 1833, 23 prisonniers républicains, travailleurs manuels, pour la plupart, sont conduits au Mont. L’administration y place aussi des légitimistes, partisans de Charles X évincé en 1830, en plus grand nombre (54 entre 1830 et 1835), car elle compte sur la domination légitimiste pour maintenir le calme chez leurs adversaires. Un mode d’incarcération spécifique s’ébauche alors, faisant l’objet de débats à la Chambre et de nombreux commentaires dans la presse. Les prisonniers demeurent en rapport constant avec les journalistes parisiens.
​La monarchie de Juillet expédie loin de Paris, sur l’îlot entouré de murailles du Mont- Saint-Michel, les opposants les plus dangereux : meneurs républicains, détenteurs de poudre et de munitions soupçonnés de préparer des ‘ machines infernales’ ou des tentatives de régicide et condamnés à mort graciés. Au total 38 détenus entre 1838 et 1844 pour la plupart âgés de 27 ans 1/2.

En plaçant les détenus dans le silence et l’isolement et en brisant les caractères les mieux trempés, la prison parviendra - t-elle à maîtriser la menace révolutionnaire politique et sociale ?

A. Barbès condamné à mort en 1839 pour tentative d’insurrection et amnistié par Louis-Philippe est envoyé au Mont-Saint-Michel le 17 juillet 1838 avec 3 autres condamnés (Martin Bernard, Delsade et Austen).  A.Blanqui et 5 autres insurgés les  rejoignent   le   6 février 1840.

Le Directeur de la prison, M.Theurier dans un rapport adressé au Préfet de la Manche du 20 Juillet 1838 raconte : « Barbès et les autres insurgés sont arrivés ici le 17 de ce présent mois à 6h du matin. Après avoir été écroués ils ont été déposés dans des chambres séparées qui se trouvent situées au midi dans la partie appelée ‘le Petit Exil’. La chambre de Barbès isolée des 3 autres a de doubles grilles et est la plus sûre de la maison. Un gardien dans lequel j’ai la plus grande confiance Mibaud est spécialement chargé de la garde et du service. Il couche dans une chambre qui se trouve vis-à-vis de celle de Barbès à 1m de distance ». (C’est donc bien dans la ‘Tour Perrine’ que furent enfermés les condamnés de Juillet).

D’autre part  ‘il ne peut être question aux politiques de s’assembler ni pour la promenade, ni pour les repas ni pour aucun autre motif’. Ils n’étaient pas non plus astreints au travail manuel.

Les détenus luttent dès leur arrivée contre les rigueurs de l’isolement cellulaire, se parlant par les croisés, les conduits de cheminée, à travers les parois et aussi avec les habitants du Mont. Barbès, Martin-Bernad et Delsade réussissent à ouvrir les portes de leurs chambres pour se réunir. Découverts en avril 1841, ils sont sanctionnés par un premier emprisonnement dans les loges du Mont. L’administration fait alors équiper leurs cellules du 'Petit' et du 'Grand Exil' de doubles grilles.

Dans la nuit du 10 au 11 février 1842, Barbès, Blanqui et quelques autres tentent de s’évader par temps de brouillard à l’aide d’une corde de draps noués. Barbès descend le 1er, se blesse et fait échouer la tentative. Tous sont à nouveau enfermés dans les loges où Barbès contracte la phtisie.

​Barbès était autorisé à recevoir les livres et les effets adressés par la famille et les amis. Il pouvait correspondre librement par écrit sous la seule réserve que les lettres fussent lues par le directeur conformément à la circulaire du 1er septembre 1836.  Etant un homme du midi, il s’était plaint de la température un peu basse de sa chambre. Aussitôt, le 18 novembre, le ministre donna des ordres pour que les cellules des détenus politiques fussent chauffées. Il fut alloué une stère de bois par mois à chaque prisonnier du 1er novembre au  1er mai.

Il améliorait aussi l’ordinaire en se faisant servir des plats supplémentaires de la cantine. Il recevait certaines sommes de l’extérieur ; c’est ainsi que le 22 août 1839  M .Gallien-Toupet banquier à Granville sollicitait l’autorisation de verser entre les mains du Directeur de la Maison Centrale une somme de 200 francs au compte de Barbès de la part de M.Carle beau-frère de la sœur du condamné. L’alimentation des condamnés aux loges se composait pour le déjeuner de soupe, de pommes de terre, de ragoûts, d’œufs et de lait. Au dîner, on servait 5 fois/semaine de la soupe grasse et du bœuf bouilli, le jeudi du bœuf à la mode et le dimanche du bœuf rôti. Les politiques recevaient par jour comme boisson 1 litre de cidre ou ½ litre de vin . Lorsque Barbès tomba malade, il mangeait de la viande de boucherie et de la volaille. Il consommait aussi un pain blanc de 750gr. Ils avaient la permission de fumer et avaient 1kg de chandelles pour l’éclairage.

M.Theurier proclame à qui veut l’entendre que Barbès est un bon détenu. Il écrit « conduite dans la maison excellente, très résigné, n’ayant jamais donné lieu à aucune plainte, s’occupe de lectures, d’écrits, ne correspond qu’avec sa sœur, son beau-frère et son frère » et encore « il persiste opiniâtrement dans son opinion et verrait avec regret qu’on s’occupe d’obtenir sa grâce et ne l’accepterait qu’en cas d’amnistie générale ».

Barbès parle lui de son très dur emprisonnement et de sa condition à Emmanuel Arago son avocat (fils du physicien). Il lui parle des ‘abominables loges’, des cellules aménagées dans les combles de la galerie nord du cloître où les prisonniers devaient selon les saisons endurer le froid humide et glacial ou la chaleur torride ‘nous mourrons en détail ‘ disait-il (à petit feu !). Il préférait la camisole de force ou le bourreau. Il fut jeté pendant 3 mois dans une oubliette.

Le 26 janvier 1843, son état ayant empiré il est transféré à la Maison Centrale de Nîmes. Les luttes des prisonniers firent une très mauvaise publicité. Toute la presse d’opposition condamne le régime pénitencier  (élaboré par Adolphe Thiers en 1830).
L’isolement cellulaire fut abandonné au Mont-Saint-Michel et le gouvernement ferma le quartier politique, ce qui entraîna par la suite  les solutions de déportations en Guyanne, Algérie et Nouvelle Calédonie. 

Lettre à Emmanuel Arago

Prison de Nîmes

C’est en plein hiver que Barbès quitte le Mont-Saint-Michel accompagné par 3 agents de police de Paris pour se rendre à la Maison Centrale de Nîmes. L’itinéraire avait été tenu secret afin d’éviter toutes manifestations de sympathie de la part de ses amis de Carcassonne. En fait, il partit à la prison de Nîmes déguisé en aide de camp du général Bugeaud afin de ne pas être reconnu et le convoi n’avait même pas traversé Carcassonne pour empêcher des émeutes. C’est grâce à sa sœur Mme.Carles qu’il est transféré dans le Midi.

La prison est un bâtiment moderne, bastionné, avec une cour au centre, une infirmerie, une chapelle, un temple protestant et une synagogue.

En 1847, son emprisonnement à Nîmes lui cause du chagrin de se trouver isolé de ses compagnons de lutte qui sont enfermés à Doullens. Il songe à les rejoindre et demande son transfert. Il n’avait pas sollicité son départ du Mont-Saint-Michel, seulement sa santé avait fait prendre au gouvernement cette décision dont il ne voulait plus bénéficier bien que sa situation à la prison de Nîmes ne constituât pas une faveur au milieu des prisonniers de droit commun.

« A Nîmes l’atmosphère était bien différente, plus de sévices, une cellule relativement confortable avec une bonne fenêtre ouverte au soleil du midi, des gardiens corrects… C’était presque le paradis pénitentiaire après l’enfer. Augusta et ses enfants Aline et Armand, Théophile Marcou, Lucien Doux, et ses camarades de jeunesse venaient régulièrement le voir sans contrainte. Son ami David D’angers obtint également l’autorisation de lui rendre visite aussi longtemps et aussi souvent qu’il voulait et eut ainsi le loisir de prendre à son aise l’esquisse de son profil qu’il grava ensuite dans un de ces médaillons de bronze dont il avait le secret » raconte Roger Merle.

Barbès, de sa prison, se préoccupa au point d’intervenir directement de créer un mouvement de solidarité pour soutenir la publication de rares journaux républicains dont l’existence devenait de plus en plus précaire. La censure et de lourdes amendes mettaient en péril l’existence des journaux (Thiers en 1835 avait contribué à faire voter sous le ministère de Broglie les lois dites ‘Septembre’ qui soumettaient la presse à la censure). Il s’agissait de La Revue Indépendante, le Populaire, la Réforme et le 17 avril 1844, il écrivait de Nîmes à un groupe de républicains de Carcassonne « Très chers citoyens et bons amis, voici l’occasion venue de faire prendre par notre ville l’initiative glorieuse d’une mesure vraiment utile….N’hésitez donc pas, citoyens à organiser une cotisation en ce sens dans notre ville ».

Il sera libéré par la Révolution le 25 février 1848.

Ci-joint, quelques exemplaires de lettres adressées à Henry Bernard, révolutionnaire et rédigées à la prison de Nîmes.

Prison de Doullens

​C’est la plus ancienne prison de France, elle domine la ville de Doullens dans le département de la Somme. Les travaux de construction sont commandés par François 1er vers 1530. C’était un édifice imprenable d’où sa reconversion en prison. Dès le XVII siècle on y enferme les prisonniers politiques (le frère de Louis XIII Gaston d’Orléans) et Madame de Montespan accusée de conspiration contre le Duc d’Orléans qui était régent.
Le 22 juillet 1835, période de la ‘Monarchie de Juillet’, une ordonnance royale en fait une prison d’état. Les prisonniers sont surtout des opposants au régime comme Barbès et Blanqui.

En 1855, la prison devient une maison centrale pour femmes, en 1857 une maison pénitentiaire pour jeunes filles puis un hôpital militaire canadien lors du 1er conflit mondial puis en 1918 à nouveau une prison pour femmes. Actuellement, la prison est classée monument historique depuis 1978.

Anecdote :       
La romancière Albertine Sarrazin  y fut enfermée en 1956 avec le matricule 504, elle a été l’évadée la plus connue ! (elle saute de 10m et se brise l’astragale).


Prison du fort de Vincennes

Le donjon de Vincennes est le plus haut édifice médiéval d’Europe/ 50m de haut. Il était à l’origine la demeure de Charles V. Ses murs sont chargés d’histoire, ses locataires furent Voltaire, le marquis de Sade, Diderot, Mirabeau… Tantôt résidence, tantôt prison, Vincennes a surtout été une prison  (mais en 1738, il y eut même un atelier de porcelaine et le château était Manufacture Royale).
Au lendemain de la manifestation du 15 mai 1848, Barbès, Raspail et Blanqui sont enfermés au fort de Vincennes où Barbès (qui écrit toujours à G.Sand ) a l’ancienne cellule de Mirabeau. Raspail séjourne dans l’ancienne Chapelle de Charles V, ses écrits en témoignent. Barbès souffre d’un isolement qui choque l’opinion publique et entraînera une enquête sur la santé des prisonniers.
Les détenus passent l’automne et l’hiver dans le Donjon à attendre la fin de l’insurrection avant d’être transférés à Bourges le 14 mars 1849 pour y être jugés.

 Acte d'accusation des prisonniers de la haute Cours de Bourges

Anecdote :
-En 1804, le Duc d’Enghien fut fusillé dans les douves du château sur ordre de Napoléon.
-Le 15 octobre 1917, Mata Hari fut fusillée pour espionnage dans les fossés de la forteresse. 

Prison de Belle-Ile

Durant l’été 1850 la décision est prise de rassembler les condamnés de ‘Hauts-Cours’ de Bourges et Versailles dans un lieu unique ; c’est ainsi que Barbès, Blanqui et Raspail se retrouvent à Belle-Ile. Aux environs de décembre 1851 le nombre de détenus est porté à 325. Ce chiffre ne sera plus jamais dépassé, c’est la prison française la plus peuplée. IL y a les ‘Blanquistes’ et les ‘Barbistes’. Il y a des dizaines de révolutionnaires qui en font une poudrière et ‘un bouillon de culture carcérale’.

Les directeurs s’arrangeaient de bien connaître leurs prisonniers afin de mieux les briser : leurs origines familiales, locales, l’entourage, les besoins, les faiblesses …. Le courrier était ouvert et des méthodes de répression utilisées.

Vallet fut le plus violent des directeurs, il était passé par la prison de Doullens et pour les prisonniers il était donc une vieille connaissance !! Il était violent il haïssait les détenus, il avait dit à Blanqui « vous n’êtes qu’un assassin ! nous nous foutons bien de votre peau ! vous pouvez crever, cela ne nous inquiète guère, ce serait un grand bonheur ! Il avait un véritable pouvoir dictatorial. Ils attisaient les haines ‘blanquistes’/ ‘Barbistes’, il fallait détruire ces hommes qu’on tenait pour responsables du renversement de l’ordre social.
  
Un gardien touchait entre 600 et 800 francs par an selon son zèle ! L’hygiène était défectueuse, il y avait le froid, l’humidité des cachots où la vermine grouillait, une nourriture poivrée attaquant l’estomac, la privation de sommeil, tout était un moyen d’agir sur les comportements de l’individu et il fallait bien briser aussi les corps.

Barbès fut expulsé de Belle-Ile après sa publication de sa lettre à G.Sand au ‘Moniteur’. 

"J'ambitionne des victoires pour nos français. Oui, oui qu'ils battent bien les cosaques là-bas et ce sera autant de gagné pour la cause de la civilisation et du monde"

En 1858 Belle-Ile est vidée des derniers prisonniers politiques.