Fourtou son domaine à Villalier (Aude)

Fourtou




​La propriété se situe à une dizaine de kilomètres de la cité de Carcassonne, côté Nord, à Villalier. On voit de loin un piton boisé dominant la campagne comme une proue de navire, auquel on accède par des chemins détournés suffisamment dégagés pour qu’on puisse y aller en voiture.

Carcassonne

C'est une commune du département de l’Aude connue pour sa cité, un ensemble architectural médieval restauré par Viollet-le-Duc au XIX siècle et inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997.

Villalier

A quel âge remontent les origines de Villalier ? On n’en est guère sûr, mais probablement bien avant l’an mille ! En tout cas un acte au sujet du fort de ‘Villalerio’ fut passé en 1065 entre Roger Comte de Foix et Roger fils de Garsende, Comtesse de Carcassonne. 150 ans plus tard, Simon de Montfort qui possédait la seigneurie de Villalier, en fit don aux évêques et au Chapitre de Saint-Nazaire conjointement, lesquels la gardèrent 573 années ! Vers le début du XVII siècle, Christophe de l’Estaing construisit un château attenant à l’ancien château-fort. En 1680, le château était devenu maison de campagne des évêques de Carcassonne et Monseigneur de Grignan que la marquise de Sévigné appelait ‘le bel abbé’ y fit des réparations et l’embellit considérablement. A sa démolition en 1797, les matériaux furent vendus à un entrepreneur de Carcassonne pour 25000 francs de l’époque, servant à bâtir une méchante auberge derrière l’hôtel Saint-Jean Baptiste ! Mais ceci est une autre histoire et il n’en reste presque plus rien !

C’est en 1820, le 3 février, que Basile Barbès fait l’acquisition, à la suite d’une adjudication par licitation du domaine de Fourtou, (propriété de la famille Rolland-Fourtou). La transaction porte également sur une maison située rue Royale (actuelle rue de Verdun) à Carcassonne connue sous le nom ‘d’Auberge du Cheval Noir’. L’ensemble est acquis pour la somme de 92500 Frs. A la mort de Basile en 1834, ses biens vont à ses 3 enfants. Par acte du 9 juillet 1834 passé devant le tribunal de Carcassonne, A.Barbès renonce à la succession de ses parents mais il demeurera fort attaché au domaine.

Dans ‘Une étoile tombée’ manuscrit dont on ne sait pas s’il a été publié, Barbès écrit : « Villalier est un petit village qui compte environ deux cent maisons. Il est situé sur les bords de l’Orbiel dans un vallon magnifique. Au-dessus et au-dessous de lui, ce sont des prés, des vergers sans fin et les plus frais dômes de feuillage que jamais peupliers gigantesques aient élevés sous la voûte bleue du ciel, mais ce qui, plus encore que toutes les beautés de son site, en faisait, pendant ces dernières années, un endroit remarquable, c’est qu’il était la demeure d’un illustre et grand citoyen ». 

La vie au domaine

A.Barbès passera à Fourtou près de 4 années à la sortie de Sorèze en 1827.

Chaque fois qu’en revenant de Sorèze Armand quittait la route de Villalier pour monter à Fourtou, il retrouvait un bonheur indicible. Le chemin traversait un bois d’immenses pins maritimes qui mugissaient doucement au souffle du vent marin. Il connaissait tous ces arbres dont il aimait écouter le frémissement continu. Vu depuis la route de Narbonne, avant d’arriver à Trèbes, cette forêt compacte ressemblait à un gigantesque reptile allongé sur la colline. Aussi les enfants Barbès avaient-ils surnommé ‘le crocodile’ ce paradis de leurs jeux.

A la sortie du bois on apercevait au bout du chemin la cour des communs, encombrée de charrettes et de barriques ; et en arrière-plan, dans l’encadrement d’un portail Louis XV en fer forgé, se profilait la silhouette des bâtiments de maîtres.

De ce château médiéval, qui avait été probablement l’un des bastions avancés de la Cité de Carcassonne, il subsistait seulement une tour massive et grise, aux flans de laquelle on avait rebâti au XVIII siècle une maison moins austère, blanchie à la chaux, aux toits en tuiles dégradées. Depuis la façade du midi, tournée vers la plaine de Carcassonne, une vue rieuse s’étendait au-delà des vignes bordant le canal de Riquet jusqu’aux Pyrénées. Au premier plan de l’horizon la montagne d’Alaric  et  la  fantastique silhouette de la cité ne lassaient jamais les regards. Côté nord, une vaste terrasse surplombait la petite rivière l’Orbiel vers laquelle on descendait par des lacets jalonnés de cyprès d’Italie. A perte de vue en direction de la Montagne   Noire et des Cévennes, les vignes et les sillons fertiles de la terre d’Aude.

Dans le parc, encadré de cyprès coupe vents, partout des fleurs, des arbustes parfumés, des essences rares. Au printemps deux couleurs répandaient  lumière et joie : le jaune des genêts et le mauve des iris. A deux pas la symphonie des abricotiers et des pêchers du jardin potager, et le charme sensible aux seuls amis de l’Hellade, des figuiers tordus par les ans.

A.Barbès ne dédaignait pas les distractions que la riche bourgeoisie terrienne offrait à ses enfants. On lui avait acheté un petit cheval arabe sur lequel il parcourait les bois et les landes. Il s’initiait aussi à la chasse et se passionnait à la poursuite du gibier. Mais ses préférences le portaient surtout à partager les jeux tout simples des gamins des ouvriers agricoles qui étaient au service des parents.

Comparant la demeure luxueuse où il vivait avec les logements pouilleux où s’entassaient ces paysans dans les communs, il s’étonnait d’une telle inégalité. La cuisine à tous usages, la chambre exiguë où toute une famille cohabitait dans la crasse, le sol en terre battue, la marmite où mijotaient de maigres épluchures de légumes, tout lui serrait le cœur ‘c’est pourtant bien normal’ lui répondait sa mère qui se souvenait de ses esclaves ‘tout le monde ne peut avoir un château’. On l’appelait ‘monsieur Armand’ et il refusait ces marques de respect qu’il ne comprenait pas.

Il ne se sentait pas supérieur à ses petits camarades dont il avait rapidement appris à parler le patois languedocien. A travers son accent créole la langue occitane prenait une étrange saveur. Comme il était incapable de prononcer les R que ses interlocuteurs faisaient au contraire bien rouler, on ne le comprenait pas toujours.

Pendant  les vendanges  il participait aux travaux de la ‘colle’ (cohorte des vendangeurs), portant comme un homme la hotte rouge ou verte dans laquelle les coupeuses, coiffées de la grande ‘caline’ du pays, sorte de cornette tendue de toile rayée de lignes noires et blanches, versaient joyeusement leurs paniers de raisins. Le soir à la veillée il chantait avec les vendangeurs des chansons gaillardes dont la signification lui échappait. Il était presque heureux. 

C’est  là, dans cette douceur de vivre, à Fourtou, que se noua entre Barbès et sa jeune sœur Augusta une  complicité indestructible. Elle voudra toute sa vie durant, le surprotéger comme une mère.

Les enfants Barbès avaient fait de Fourtou le foyer de l’amitié. Les jeunes gens et jeunes filles des environs venaient y faire des parties de chasse, des pique-niques au bord de l’Orbiel. On jouait aux ‘grâces’. On récitait des  poèmes. On écoutait Armand et on l’admirait car il exerçait sur tous ceux qui l’approchaient une considérable séduction.

Autre exemple de son attachement à la terre de Fourtou  , copie  au  petit-fils du sieur Carbou, régisseur de l’exploitation, d’une lettre de A.Barbès  adressée à son grand-père le 14 Décembre 1834 :
« La récolte de l’an passé a été mauvaise, le vin a manqué, nous ne saurions donc trop mettre d’économie dans nos dépenses. Ce n’est point qu’il faille négliger aucun des travaux essentiels, mais c’est pour les journées de pluie et de temps peu favorables  qu’il faut être sévère. Les travailleurs ne nous ont pas plus de reconnaissance de les avoir gardés, lorsque nous n’en avons pas besoin et ils ne nous quittent pas moins lorsque le printemps arrive… Quand le travail pressera, il vaut encore mieux être obligé de les payer un peu plus cher que de les avoir gardés en pure perte pendant des mois entiers ».

Son tombeau

Depuis 1885, les cendres de Barbès reposent à l’entrée de son domaine familial sur le plateau de Bellevue à Fourtou. Il est parsemé de petits résineux, de chênes verts, de lilas, de lauriers-thym, de genêts, de clairières alternant avec des fourrés rendus difficiles d’accès par quelques troncs de pins abattus par les tempêtes de tramontane qui ne manquent pas de descendre de la Montagne Noire, véritables furies ‘un vent à décorner les bœufs’ comme on dit chez nous. Des senteurs fortes et sauvages vous accueillent sur le promontoire où les romarins, les genêts, les iris de toutes les couleurs abondent. Ce coin est un jardin naturel entre ciel et terre, aussi celui de l’enfance de beaucoup  de jeunes de Villalier, notre village, qui  allaient  investir les lieux, jouer et rêver il y a de cela quelques années en arrière, les lieux étant devenus une propriété privée.

​A l’extrémité ouest de ce plateau, on devine la trace d’un portail dont il ne subsiste que les deux charnières et plus loin, sous les arbres, une dalle bombée d’environ 6m de diamètre supporte un monument de marbre dont les 4 piliers encadrent une sorte de sarcophage. Une légende a même circulé comme quoi le tribun avait été inhumé debout dans son tombeau ou que celui-ci était un cénotaphe ! Le retour des cendres de Barbès n’ont pas entrainé d’importants remous ni dans la presse ni dans la population.

Anecdote : 
Juste à l’endroit du tombeau il y avait une sépulture gallo-romaine qui fut mise à jour en faisant les fouilles pour la construction du caveau ce qui a entraîné Isidore Nelli  architecte et sculpteur du médaillon à dire «Barbès repose sur les cendres d’un chef gaulois, mort sans doute pour la défense de la patrie» lui aussi !

(Isidore Nelli fut donc chargé de réaliser le médaillon du tombeau. Il a également participé à la restauration de la Cathédrale St.Nazaire à la Cité de Carcassonne, à la sculpture du sanctuaire de la Cathédrale St. Michel, au Palais de Justice, à la maison du n° 24 de la rue du Palais (pour ne citer que sur la ville).

René Nelli écrivain local est le petit-fils d’Isidore Nelli. Il avait plaisir à dire qu’il descendait d’une famille de sculpteurs florentins !

Courrier de Roger Merle 

Roger Merle était l’arrière petit-neveu d’Armand Barbès /côté maternel. Il était une grande figure du droit à Toulouse, du barreau et de l’Université des Sciences Sociales où il était professeur. Il est  décédé en Octobre 2008. Barbès avait toujours exprimé que ses descendants défendent toujours sa mémoire. Ci-joint un courrier de Roger Merle qui m’a été adressé. ​